Rabbi Raphaël Baroukh Tolédano de Meknès, Grand Tsadik et poète
Rabbi Raphaël Baroukh Tolédano zatsal (1890-1970) fut l'une des figures rabbiniques les plus éminentes du judaïsme marocain au 20ᵉ siècle. Grand décisionnaire (Possek), Av Beth Din (Chef du Tribunal rabbinique), enseignant dévoué et auteur prolifique, il incarna la grandeur et la richesse de la tradition séfarade. Chevalier de la légion d'Honneur (France) et décoré par le roi du Maroc, dans un contexte politique chaotique, il sut perpétuer l'héritage ancestral des Mégourachim (juifs expulsés d'Espagne) tout en l'adaptant aux défis de son époque et en veillant au bien-être des plus faibles.
Issu d'une illustre lignée de Rabbins originaires de Tolède (Espagne), Rabbi Baroukh naquit à Meknès dans une famille qui avait donné au judaïsme marocain plusieurs générations de Grands Sages. Son père, Rabbi Yaakov, était lui-même un érudit respecté, Juge rabbinique (Dayan) et Kabbaliste reconnu qui dirigeait un cercle d'études mystiques. Sa mère, issue de la prestigieuse famille Berdugo, était connue pour sa piété et sa générosité envers les nécessiteux. Sa porte toujours ouverte, elle ne refusait jamais l'hospitalité à un voyageur, même dans les périodes les plus difficiles.
La jeunesse studieuse de rabbi Baroukh
Le jeune Baroukh reçut sa première éducation dans le "kuttab" traditionnel de Meknès, où il se distingua rapidement. Il étudia d'abord auprès de son père, puis dans la célèbre yéchiva de Meknès, sous la direction du grand Rabbi Yéhochua Berdugo.
Rabbi David Sabbah, l'un de ses premiers maîtres, témoigna plus tard : "Dès l'âge de sept ans, il posait des questions qui nous laissaient sans voix. Sa soif de connaissance était insatiable." Le Rav Chalom Messas, qui devint plus tard Grand Rabbin de Jérusalem, écrivit à son sujet : "Déjà enfant, sa compréhension profonde des textes les plus complexes émerveillait ses Maîtres. Sa mémoire phénoménale lui permettait de citer des pages entières du Talmud par cœur." En effet, à douze ans, il maîtrisait déjà plusieurs traités du Talmud. On rapporte qu'à sa Bar Mitsva, il fit une dracha magistrale sur les lois complexes de "Erouvin", qui impressionna même les plus grands sages de la ville.
Rabbi Baroukh à la Yéchiva de Meknès
La yéchiva de Meknès était alors dirigée par Rabbi Yéhochua Berdugo, connu sous le nom de "HaMachbir". Ce dernier adopta le jeune Baroukh comme son disciple privilégié, lui transmettant non seulement son savoir, mais aussi sa méthode d'analyse talmudique.
Rabbi Raphaël Berdugo, fils de Rabbi Yéhochua, rapporte : "Mon père disait souvent que le jeune Baroukh lui rappelait le Rambam par sa clarté d'esprit et sa capacité à expliquer les concepts les plus complexes de manière limpide."
À l'âge de vingt-cinq ans, il fut nommé Dayan au Tribunal rabbinique de Meknès, fonction qu'il occupa pendant plus de quarante ans. Sa réputation de décisionnaire avisé et équitable s'étendit rapidement dans tout le Maroc et au-delà.
Une vie dédiée à l'étude et aux mitsvot
Le quotidien de Rabbi Baroukh Tolédano suivait un rythme précis qui impressionnait tous ceux qui le côtoyaient. Il se levait invariablement à trois heures du matin pour étudier le Zohar, une pratique héritée de son père. Son petit-fils raconte qu'une bougie spéciale était préparée chaque soir près de son bureau, et que même durant les périodes les plus difficiles, sa lumière brillait dans la nuit de Meknès. Après l'étude du Zohar, il se plongeait dans le Talmud jusqu'à l'aube, ne s'interrompant que pour la prière du matin.
Son fils, Rabbi Yéhochua Tolédano, rapporte cette anecdote révélatrice : "Mon père avait l'habitude d'étudier jusqu'à l'aube, ne s'accordant que quelques heures de sommeil. Lorsqu'on lui demandait comment il tenait ainsi, il répondait en citant le verset : 'Car elle [la Torah] est ta vie et la longueur de tes jours' (Deutéronome 30:20)."
Rabbi Baroukh : justice et compassion
En tant que Dayan, Rabbi Baroukh savait résoudre les conflits les plus délicats. Une de ses maximes favorites était : "Un jugement juste doit satisfaire non seulement la loi, mais aussi le cœur."
Il développa plusieurs principes innovants dans le domaine du droit rabbinique, notamment l'adaptation des contrats commerciaux traditionnels aux réalités modernes, la protection particulière des droits des veuves et des orphelins et l'établissement de nouvelles takanot (ordonnances) pour renforcer la vie familiale.
Sur la photo : Rabbi Baroukh Tolédano (à gauche), Rabbi Raphaël Baroukh Tolédano (au centre) et Rabbi Chalom Messas (à droite). Une photo exceptionnelle de 1949 prise lors de l'inauguration de la synagogue Ohel Moché à Meknès.
Rabbi Barouhk Tolédano face aux défis de la modernité
Dans les années qui suivirent l'indépendance du Maroc, Rabbi Baroukh joua un rôle crucial dans le maintien de la vie juive. Il encouragea l'éducation traditionnelle tout en comprenant la nécessité d'une ouverture prudente à la modernité. "Nous devons être comme le roseau qui plie mais ne rompt pas. Notre tradition est assez forte pour intégrer le nouveau sans perdre son essence", enseignait-il.
En 1952, il écrivait dans un document retrouvé dans les archives de la yéchiva de Meknès : "Nous devons former des jeunes qui seront à la fois profondément enracinés dans notre tradition et capables de faire face aux défis du monde moderne." Il mit cette philosophie en pratique en créant un programme d'études innovant qui combinait l'étude traditionnelle de la Torah le matin avec des cours de langues et de sciences l'après-midi. Cette initiative, d'abord controversée, fut plus tard adoptée par d'autres communautés du Maroc.
Il fut parmi les premiers Rabbins marocains à autoriser l'utilisation du téléphone pendant Chabbat pour les urgences médicales, à encourager l'éducation professionnelle des jeunes tout en maintenant l'étude de la Torah, et à établir des programmes d'étude adaptés aux travailleurs, pour lesquels il créa un Kollel.
L’hospitalité et l’action sociale de Rabbi Baroukh
Sa façon de recevoir les visiteurs reflétait sa grandeur d'âme. Qu'il s'agisse d'un grand érudit ou d'une personne simple, il accueillait chacun avec le même sourire bienveillant. Le Rav David Loyb, son secrétaire pendant plus de vingt ans, témoigne qu'il ne refusait jamais de recevoir quelqu'un, même après des journées épuisantes au tribunal rabbinique. "Le seul moment où il fermait sa porte", raconte le Rav Loyb, "était entre 14h et 15h, une heure qu'il consacrait à l'étude avec ses petits-enfants, car il disait que la transmission familiale ne devait jamais être négligée."
Rabbi Barouhk a surtout développé l’action sociale d’une manière remarquable à travers des dizaines d’organisations, ne négligeant aucun aspect de la vie quotidienne. La création d'une caisse de prêts sans intérêt et d'un fonds spécial (gma'h) pour les mariages, Bikour ‘Holim, pour aider les malades nécessiteux à se soigner, Malbich Aroumim pour aider les pauvres à se vétir, et bien d’autres associations de Tsédaka, pour l’aide aux jeunes couples, aux étudiants de yéchiva, ou encore pour l’impression de livres de Torah. Tous les vendredis, il distribuait aux pauvres l’argent récolté dans la semaine auprès des membres les plus fortunés de la communauté.
Rabbi Baroukh auprès des Grands Rabbins de son temps
L'influence de Rabbi Baroukh rayonnait bien au-delà de sa communauté. Des Rabbins, et des fidèles venaient de loin pour le consulter, attirés par sa sagesse et son humilité. Le Rav Ovadia Yossef, qui le rencontra lors d'une visite au Maroc, déclara : "Sa maîtrise de la Torah n'a d'égale que sa modestie. Il est un exemple vivant de ce que nos Sages appellent un "Talmid Hakham' authentique."
Durant ces années, il entretint des relations épistolaires fécondes avec plusieurs Grands Rabbins, dont Rabbi 'Haïm Bienveniste de Jérusalem, Rabbi Chalom Messas de Casablanca et Rabbi Messaoud HaCohen de Marrakech. Ces échanges, dont une partie a été conservée, témoignent de la profondeur de ses connaissances et de son autorité halakhique précoce, faisant de Rabbi Baroukh un des plus grands Tsadikim de son époque. Rabbi Baroukh était également très proche de Baba Salé z”l.
Rabbi Baroukh et la communauté musulmane
Rabbi Baroukh entretenait des relations respectueuses avec les autorités musulmanes de Meknès. Le Pacha de la ville le consultait régulièrement sur des questions d'éthique et de justice. Il fut aussi récompensé par le roi du Maroc Hassan II qui lui attribua la médaille Ouissam Alaouite décernée aux personnalités pour services rendus au Maroc.
Une anecdote célèbre raconte qu'en 1944, lors d'une période de sécheresse, le Pacha vint lui demander de prier pour la pluie. Rabbi Baroukh organisa alors une journée de jeûne et de prières à laquelle participèrent juifs et musulmans. La pluie tomba le lendemain, renforçant encore le respect dont il jouissait auprès de toute la population.
La méthode d'étude et d'enseignement de Rabbi Baroukh
"Grand-père nous enseignait que la vraie grandeur dans la Torah se mesure non seulement à l'érudition, mais aussi à la capacité de transmettre avec amour et patience." témoigne le petit-fils de Rabbi Baroukh. Le Tsadik avait développé une méthode d'étude particulière qu'il transmit à ses élèves. Elle consistait à étudier chaque sujet dans toutes les sources disponibles, du Talmud aux décisionnaires contemporains, et à noter systématiquement ses 'hiddouchim (innovations) dans des carnets spéciaux. Chaque sujet était révisé selon un cycle précis, et chaque halakha étudiée mise en pratique immédiatement.
Son enseignement du Talmud se distinguait par son originalité. Plutôt que de suivre l'ordre traditionnel des pages, il organisait son enseignement autour de thèmes centraux, consacrant plusieurs semaines à l'étude approfondie de concepts comme "la responsabilité" ou "l'intention dans les actes religieux", puisant dans différents traités du Talmud pour construire une compréhension globale du sujet. Le Rav Messas témoigne que cette approche permettait aux élèves de développer une vision cohérente et applicable de la loi juive, plutôt qu'une collection de connaissances fragmentées.
L’œuvre écrite de Rabbi Baroukh
L'héritage écrit de Rabbi Baroukh Tolédano est immense et comprend plusieurs ouvrages majeurs dont le "Kitsour Choul'han Aroukh" en judéo-arabe, une adaptation du code de lois juives aux coutumes des juifs marocains. Il rédigea aussi les ouvrages suivants :
- "Cha'aré Baroukh" sur le Talmud
- "Ki'ssé Hamelekh" sur le Michné Torah de Maïmonide
- "Divrei Baroukh", recueil de responsa
- "Imrei Baroukh" - commentaires sur le Pentateuque
- "Taharat HaBayit" - sur les lois de pureté familiale
- "Michpetei Baroukh" - recueil de ses décisions au tribunal rabbinique
- "Chaaré Limoud" - sur la méthodologie de l'étude de la Torah
Son approche de la halakha se caractérisait par un profond respect des traditions locales tout en sachant s'adapter aux réalités nouvelles de son époque. Comme il l'écrivait lui-même : "La force de nos traditions réside dans leur capacité à éclairer chaque génération tout en préservant l'essence immuable de la Torah."
Rabbi Baroukh le poète : Achorère chira likhvod ha-Torah
Rabbi Baroukh joua également un rôle crucial dans la préservation des mélodies et des piyoutim (poèmes liturgiques) traditionnels du judaïsme marocain. Il compila un recueil intitulé "Chirei Baroukh" qui documentait les airs traditionnels de Meknès, notamment ceux spécifiques aux fêtes de Tichri. Il y ajoutait ses propres compositions, dont certaines, comme “Achorère Chira” ou sont encore chantées aujourd'hui dans les synagogues séfarades et même par les chanteurs ‘hassidiques ! Son fils raconte qu'il avait une voix mélodieuse et qu'il insistait sur l'importance de la joie dans la prière, répétant souvent : "Un nigoun (mélodie) peut élever l'âme plus haut que mille paroles."
Les dernières années à Jérusalem et l'héritage spirituel
En 1963, Rabbi Baroukh s'installa à Bnei Brak, où son domicile devint rapidement un centre d'étude et de consultation halakhique. Le Rav Mordekhai Eliahou le décrivait comme "un trésor vivant de la sagesse séfarade qui enrichit la Terre Sainte."
Malgré son âge avancé, il maintenait un emploi du temps chargé, recevant des visiteurs du monde entier venus chercher ses conseils et ses bénédictions. Le Rav Ovadia Yossef zatsal, qui lui rendait fréquemment visite, rapporte que même dans ses derniers mois, alors que sa santé déclinait, il continuait à dicter des réponses aux questions halakhiques qu'on lui soumettait, soucieux jusqu'au bout de transmettre son savoir.
Son héritage perdure aujourd'hui à travers ses nombreux disciples et les institutions qui portent son nom, notamment le Kollel "Or Baroukh" à Jérusalem. Ses ouvrages continuent d'être étudiés dans les yéchivot séfarades du monde entier.
En 2015, des chercheurs de l'Université Hébraïque ont découvert dans une guéniza un cahier contenant ses notes personnelles sur les coutumes des communautés juives du Maroc espagnol. Ce document, actuellement en cours d'édition, promet d'apporter un éclairage nouveau sur l'histoire des relations entre les communautés séfarades d'Afrique du Nord.
La Hiloula de Rabbi Raphaël Baroukh Tolédano
Le 18 Hechvan 5731 (17 novembre 1970), Rabbi Baroukh Tolédano quitta ce monde, laissant derrière lui une communauté profondément marquée par son passage. Son héritage se perpétue à travers ses nombreux enseignements, et sa descendance de Grands Rabbanim, qui dirigent aujourd'hui de nombreuses yéchivot portant son nom.
Son départ rassembla des dizaines de milliers de personnes venues pour lui rendre un dernier hommage à Bnei Brak où il fut enterré. Les étudiants de la yéchiva Poniovitz veillèrent avec respect autour de sa dépouille, s'assurant que seules les personnes purifiées au Mikvé puissent s'en approcher.
Rabbi Raphaël Baroukh Tolédano incarnait à la perfection la figure du sage séfarade traditionnel, profondément ancré dans les textes sacrés tout en demeurant conscient des enjeux de son époque. Comme il disait souvent : "La Torah est un arbre de vie pour ceux qui s'y attachent. Comme l'arbre, elle doit avoir des racines profondes et des branches qui s'élèvent vers le ciel."
En sa mémoire, son nom a été donné à une rue de Bnei Brak, où il vécut ses dernières années, ainsi qu'à une rue du quartier Ramat Chlomo à Jérusalem.
Chaque année pour sa Hiloula des fidèles viennent en nombre prier sur sa tombe à Bné Brak. Que le mérite de ce Tsadik immense protège le Peuple d’Israël.
Sources consultées :
- "Hakhmei Yisrael beMorocco" de Rabbi David Ovadia
- "Zikhron haRabbanim chel Meknes" de Rabbi Yéhochua Berdugo
- Témoignages familiaux recueillis par Rabbi Yéhochua Tolédano
- "Sifrei HaRabbanim chel Morocco" de Rabbi Moché Amar
- "Toledot Hakhmei Morocco" de Rabbi Yossef Messas
- Témoignages recueillis par le Centre de documentation du judaïsme nord-africain
- Journal du Rav David Loyb
Tsidkat-Eliaou marquera ce jour par une journée d’étude au Kollel Chaaré Nissim situé dans la synagogue Baba Salé - Chaaré Nissim de Jérusalem.
À l'occasion de la Hiloula de ce grand Tsadik, Tsidkat-Eliaou vous invite à allumer une veilleuse, à sa sainte mémoire, à lire quelques psaumes de Téhilim (si possible ) et à prier pour le Am Israël !
Puis, récitez la formule ci-après :
Zékhouto taguen alénou véal kol Israël, Amen.
Le Tsadik priera pour vous.
Vous pouvez également associer vos prières à la noble et grande mitsva de la Tsédaka et nos Rabbanim vous bénirons dans la synagogue Baba Salé - Chaaré Nissim de Jérusalem.
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Prochaines dates de la Hiloula du Tsadik Rabbi Raphaël Baroukh Tolédano zatsal
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Association pour la Torah, l’Enseignement et les Mitsvot |
Paru au Journal Officiel du 01/1990
Aides et secours aux nécessiteux