La prière du coucher
Le sommeil joue un rôle crucial pour de nombreuses fonctions biologiques et psychiques : mémoire, apprentissage, immunité... Bien dormir est donc capital pour préserver sa santé et récupérer les forces nécessaires pour affronter la journée.
Afin de permettre à l’homme de bénéficier d’une nuit tranquille et reposante et le préserver des périls nocturnes, nos Sages ont institué la prière du coucher, également appelée le ‘Kriat Chéma al Hamita’.
Le texte de la prière : quels passages lire ?
Dans le traité Berakhot (60b), nos Sages enseignent qu’au moment du coucher, l’homme devra réciter le Chéma Israël ainsi que la bénédiction de Hamapil[1]. Rabbi Yéhochoua Ben Lévi précise que cette lecture se fera bien que l’on ait déjà récité le Chéma Israël lors de la prière d’Arvit. Ce dernier avait par ailleurs coutume de lire les psaumes 3 et 91 avant de dormir car ils constituent une protection contre les esprits nuisibles[2]. Au fil du temps, la structure de la prière du coucher (Kriat Chema Al Hamita) a connu quelques évolutions : on y a ajouté des chapitres de psaumes, des versets de la Torah ainsi que des prières et supplications. Le texte de la prière du coucher diffère donc quelque peu d’une communauté à l’autre bien que les fondamentaux que sont le Chéma Israël et la bénédiction de Hamapil restent communs à tous.
Cependant, la lecture du Chéma Israël est elle aussi, soumise à quelques divergences : si d’après nos Sages, la lecture du premier paragraphe du Chema Israël est suffisante avant le coucher, certains décisionnaires[3] affirment qu’il convient de réciter également le deuxième paragraphe, tandis que pour d’autres[4], il faudra lire le Chéma Israël dans son intégralité, à savoir, les trois paragraphes.
Pour conclure : seuls le premier paragraphe du Chéma et la bénédiction de Hamapil sont obligatoires. Cependant, de nombreuses communautés ont coutume d’ajouter des versets et prières de supplication à titre de protection, conformément à l’opinion de Rabbi Yéhochoua Ben Lévi.
La déclaration d’indulgence
La prière du coucher s’ouvre sur le passage “Haréni mo’hel vesolea’h” dans lequel nous déclarons accorder notre pardon à quiconque nous aura offensé dans la journée. Nous prions également de n’être à l’origine d’aucune sanction divine sur autrui car comme le dit la Guemara : “Quiconque entraîne une punition sur son prochain, ne peut pénétrer dans la cour d’Hachem.” Nous avons donc pris coutume d’accorder notre pardon avant de nous coucher, à tout celui qui nous a causé du tort.
Le Or Letsion ajoute que celui qui conserve une certaine rancœur envers autrui ne peut lire ce passage qui n’est autre qu’une déclaration d’indulgence. On veillera donc à éliminer toute trace de rancune ou de ressentiment avant de le réciter.
La bénédiction de Hamapil
La bénédiction de Hamapil correspond à une supplication adressée à D.ieu afin que nous puissions bénéficier d’une nuit reposante et tranquille, à l’abri de cauchemars ou autres désagréments nocturnes.
Voici la traduction de cette bénédiction :
"Béni sois-Tu, Seigneur, notre D.ieu, Roi de l'Univers., qui fait descendre les chaînes du sommeil sur mes yeux et l'assoupissement sur mes paupières.
Et telle puisse être Ta volonté, Seigneur, mon D.ieu et D.ieu de mes pères, que de me faire coucher en paix et relever en paix et que ne me troublent pas mes pensées, ni des mauvais rêves ni des visions impures et que ma couche soit parfaite devant Toi. Rends la lumière à mes yeux afin que je ne m'endorme pas du sommeil de la mort, car c'est Toi qui rends la lumière à la prunelle des yeux. Sois béni, Seigneur, qui éclaire tout l'univers de Sa Majesté ".
Ainsi, dans la bénédiction de Hamapil, nous demandons à Hachem de faire ‘descendre les chaînes du sommeil sur nos yeux’, tandis qu’à notre réveil, nous Le remercions de nous avoir débarrassé de ces mêmes chaînes (“Hamaavir Chéna Mé’énaï”).
Quelques lois :
● La bénédiction de Hamapil que l’on récite avant de dormir se dira avec le nom d'Hachem si l’on va dormir avant la mi-nuit.[5]
● On s’efforcera autant que possible de ne pas parler après avoir récité cette bénédiction. Il est toutefois bien entendu permis de réciter les versets du Chema et les textes qui suivent la Berakha de Hamapil.
● Celui qui va dormir après la mi-nuit n’aura pas besoin de réciter Hamapil mais il est bon qu’il fasse cette prière sans prononcer le nom d’Hachem. A plus forte raison, celui qui va dormir vers la fin de la nuit et ne s’endort qu’au lever du jour n’aura pas besoin de réciter la bénédiction de Hamapil.[6]
●Il n’est pas nécessaire d’attendre d’être sur le point de s’endormir pour réciter la bénédiction de ‘Hamapil’. Mais on la récitera dès que l’on s’installe dans son lit pour dormir.[7]
● Celui qui n’a pas l’intention de dormir toute la nuit ne devra pas réciter cette bénédiction.
● Certains ont pour habitude de réciter la bénédiction de Hamapil en dernière position, car une fois cette bénédiction prononcée, il n’est plus possible de parler (sauf exceptions). Toutefois, d’après la Kabbala, il convient de lire la bénédiction de Hamapil avant le Chéma Israël et autres versets.
Le Chéma Israël
La récitation du Chéma Israël est au cœur de la prière du coucher. Rabbi Yehochoua Ben Lévi[8] affirme que bien qu’on ait déjà récité le Chéma Israël à la Synagogue (au cours de la prière d’Arvit), il faudra tout de même le lire à nouveau avant de dormir. D’où le sait-on ? demande Rabbi Yossi. Du verset (Tehilim 4;5) : “Rigzou véal té’hétahou imrou bilvavekhem al michkavekhem védomou séla !” (“Tremblez et ne péchez point; méditez en vos cœurs sur votre couche, et gardez le silence! Sélah!”). Rachi explique que ce verset fait référence au Chéma Israël du coucher (on retrouve l’expression ‘al lelavekha’ - ‘sur votre coeur’, dans le Chéma Israël), après lequel il est interdit de parler, d’où l’injonction de ‘garder le silence’.
Puisque le Chéma Israël est lu en tant que protection pour la nuit, il est préférable de réciter les trois paragraphes qui contiennent 248 mots et préservent ainsi les 248 membres de l’homme.
Quelques lois :
● Celui qui a prié Arvit alors qu’il faisait encore jour et n’a toujours pas récité le Chéma Israël avant la tombée de la nuit, devrait penser à s’acquitter de cette Mitsva lorsqu’il lira le Chéma Israël dans la prière du coucher. Il le récitera assis et non pas allongé.
● Il est bon d’enseigner à ses enfants dès le plus jeune âge de réciter le Chema Israël avant de dormir s’ils dorment avant la mi-nuit. On se contentera alors de leur lire le premier paragraphe du Chema.
● Les femmes aussi sont tenues de faire Kriat Chema al hamita en mentionnant le nom d’Hachem.[9]
● Même durant les jours de Chabbat et de Yom Tov, il est possible de lire avant le Chema Israël, le texte ‘Ribono Chel Olam’, ‘haréni mohel vesoleah’, suivi de Hamapil.
● Celui qui craint de s’endormir en récitant la prière du coucher, commencera par réciter le premier paragraphe du Chéma Israël suivi de Hamapil pour être certain de s’acquitter de l’ordonnance des Sages.
● On pourra réciter cette prière en étant allongé, à condition de se mettre sur le côté.
Le Vidouy
Nos Sages écrivent qu’il convient de faire le bilan de nos actes en fin de journée et de faire Techouva si l’on a commis des fautes. C’est pourquoi, il est bon de lire le Vidouy avant de dormir.
La prière du coucher : entre protection...
La Torah (Bamidbar 23,24) rapporte la bénédiction que Bila’am adressa au peuple juif alors qu’il avait été mandaté pour le maudire : « Voyez ! Ce peuple se lève comme un léopard, il se dresse comme un lion ; il ne se couchera qu’assouvi de carnage, qu’enivré du sang de ses victimes ! ».
Et Rachi de commenter :“Il ne se couchera pas” - ‘la nuit, sur son lit, avant d’avoir combattu et détruit les obstacles susceptibles de le troubler. Comment procède-t-il ? Il récite le Chéma’ sur son lit et confie son existence à Hachem.’ D’après cette explication de Rachi, même lorsque les enfants d’Israël vont dormir, ils triomphent de leurs ennemis parce qu’ils récitent le Chéma au coucher, et remettent leur âme entre les mains d’Hachem qui les protège et réduit à néant ceux qui cherchent à leur nuire durant leur sommeil.’
La prière du coucher constituerait donc une protection efficace contre les dangers physiques et spirituels auxquels l’homme est exposé durant la nuit. Durant son sommeil, l’homme est sans défense et peut être attaqué par des forces obscures ou en proie à des cauchemars ou à de mauvaises pensées. Il a toutefois la possibilité de se préserver de ces désagréments grâce à la récitation du Chéma au coucher. Le Choul’han Aroukh[10] rapporte également que quiconque occupe son esprit à l’étude de la Torah jusqu’au moment du coucher, a l’assurance d’être protégé de tout péril nocturne.
… et remerciements
La prière du coucher est également pour nous l’occasion de remercier Hachem pour l’immense bienfait que constitue le sommeil. Lorsqu’il dort, l’homme récupère ses forces physiques et psychiques pour être à même d’affronter le lendemain. Le sommeil contribue également au processus de mémorisation et de traitement des données. Il permet donc à l’homme d’assimiler l’ensemble des informations reçues en journée et rend à l’esprit la capacité d’acquérir de nouvelles connaissances. Nous récitons donc une bénédiction de remerciement pour ce bienfait juste avant le coucher.
Histoire
Cela faisait six mois que David (nom fictif) faisait de terribles cauchemars. A chaque fois, le même scénario se répétait : une ombre effrayante s’introduisait dans sa chambre en passant par le fenêtre et tentait ensuite de lui faire du mal. David essayait d’hurler et de se débattre pour échapper à son agresseur, mais il était bien trop faible pour le faire. Il se réveillait en sursaut, le cœur battant à tout rompre et le front en sueur.
Épuisé par ces nuits agitées, il se confia un jour à sa mère sur les ‘attaques’ nocturnes dont il était victime. Celle-ci tenta de le rassurer en lui expliquant qu’il ne s’agissait que de cauchemars et qu’il ne fallait pas s’en préoccuper.
Je sais que ce ne sont que des rêves absurdes. Même lorsque je suis assoupi, j’ai conscience qu’il ne s’agit que d’un cauchemar mais la peur et l’impuissance que je ressens à ce moment-là sont bien réelles !
David essaya malgré tout de se changer les idées avant d’aller se coucher, en espérant que cela lui permettrait d’échapper à ces cauchemars. Il se mit à écouter de la musique classique, bouquina, se promena… mais rien n’y fit. Épuisé, désespéré et tourmenté, il se rendit dans un Centre du sommeil pour obtenir l’avis de spécialistes. Il passa plusieurs examens, mais tout semblait normal. Rien ne semblait justifier ces épisodes nocturnes.
David n’était pas très pratiquant, mais il se résolut tout de même à lire quelques chapitres de Tehilim avant de dormir, en espérant que cela l’aiderait à passer enfin une nuit paisible. Mais cela ne fonctionna pas non plus.
Un jour, l’un de ses amis lui demanda pourquoi il semblait si pâle et si fatigué ces derniers temps. David lui expliqua qu’il faisait des cauchemars effrayants et répétitifs, qui ne lui laissaient aucun répit.
- As-tu essayé de réciter la prière du Chéma Israël avant de dormir ? l’interrogea son ami ?
- J’ai déjà essayé de lire des Tehilim mais ça n’a pas fonctionné…
- La récitation de la prière du coucher est une protection contre les mauvais rêves et les mauvaises pensées. Tu devrais essayer, insista son ami.
David se laissa convaincre. Après tout, qu’avait-il à perdre ?
Ce soir-là, il lut donc avec ferveur le texte du Kriat Chéma al Hamita avant de se coucher. Et pour la première fois depuis six mois, il dormit paisiblement. Aucun cauchemar, aucune vision effrayante ne vint troubler sa nuit.
Constatant l’incroyable efficacité de cette prière, David décida de la lire tous les soirs au coucher. S’il lui arrivait de s’endormir sans avoir fait Kriat chema al hamita, il était de nouveau en proie à des cauchemars.
David n’était pas quelqu’un de très pratiquant. Mais il comprit qu’Hachem avait souhaité le rapprocher de lui par le biais de ces mauvais rêves. Il commença à s'intéresser au judaïsme, assista à des cours de Torah, se mit à respecter la cacherout, à prier quotidiennement.... Grâce à la magnifique prière du coucher, David a compris la force de la prière et s’est rapproché du maître du monde. Aujourd’hui, il pratique Torah et Mitsvot.
[1] “Bénis sois-Tu… qui fais tomber les chaînes du sommeil etc.”
[2] Chevouot 15b.
[3] Tel que Rabbénou ‘Hananel. le Divré ‘Hamoudot 67 précise toutefois que Rabbénou ‘Hananel s’exprime ainsi uniquement au sujet des endroits où l’on récite Arvit avant la nuit pour pouvoir s’acquitter de la Mitsva du Chéma.
[4] Tel que Rabbénou Yona et Rabbénou Yerou’ham selon lesquels il est bon de réciter les trois paragraphes du Chéma avant de dormir.
[5] Certains ne prononcent pas le Nom divin dans cette bénédiction par crainte de devoir s’interrompre après l’avoir récitée. Ainsi, chacun agira selon sa coutume.
[6] Yalkout Yossef, lois sur les bénédictions p.664.
[7] Yalkout Yossef
[8] Berakhot 4b
[9] D’après certains, les femmes ne sont pas tenues de faire Kriat Chema al Hamita, c’est pourquoi, elles le feront sans bénédiction.