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Rabbi Israël ben Moché Najara : Le poète mystique de Gaza

Rabbi Israël ben Moché Najara, né vers 1555 et décédé vers 1625, fut l'un des plus grands poètes liturgiques juifs de tous les temps. Rabbin, commentateur biblique et figure éminente du judaïsme séfarade du 16ᵉ siècle, il a laissé une empreinte indélébile sur la poésie et la liturgie juives. Son œuvre, d'une richesse et d'une profondeur exceptionnelles, continue d'inspirer et d'émouvoir les communautés juives du monde entier.

Rabbi Israël Najara : Une vie de Torah et d'épreuves

Rabbi Najara a vécu à une époque charnière de l'Histoire juive. Né environ soixante ans après l'expulsion des Juifs d'Espagne, il a grandi dans un monde où les communautés séfarades se reconstituaient et s'adaptaient à de nouveaux régimes politiques et environnements, au gré des persécutions antisémites. Cette période a également vu l'émergence de Safed comme centre majeur de l’étude de la Kabbale, avec des figures telles que le saint Ari zal, Rabbi Yts’hak Louria, ou rabbi 'Haïm Vital. Ce contexte de renouveau spirituel et de brassage culturel a profondément influencé l'œuvre de Rabbi Israël Najara.

La famille Najara tire son nom de la ville de Nájera, dans le nord de l'Espagne, ancienne capitale du royaume de Navarre. Suite à l'expulsion des Juifs d'Espagne en 1492, le grand-père de Rabbi Israël, Rabbi Levi Najara, s'installa à Constantinople. Son père, Rabbi Moché ben Lévi Najara, naquit à Salonique et finit par s'établir à Safed, où il devint un proche disciple du Ari Hakadoch zal.

C'est dans ce creuset de sainteté et d'érudition que naquit Israël Najara, vers 1555, probablement à Damas, mais peut-être à Safed, selon différentes sources. Il grandit dans une atmosphère imprégnée de Torah et de Kabbale, au contact des plus grands Sages de son époque. 

La vie de Rabbi Israël fut marquée par de nombreux déplacements et de grandes épreuves personnelles. En 1579, suite à un nouveau décret du gouvernement ottoman contre les Juifs de Safed, la famille Najara, à l’instar de nombreuses autres, fuit la ville, pour s'installer à Jobar, dans la banlieue de Damas. Là, le jeune Israël devint Sofer (scribe) et Rabbin.

Sa vie personnelle fut, elle aussi, jalonnée de tragédies : sa première épouse mourut jeune, suivie de leur fille unique, à l'âge de dix ans. Ces épreuves, loin de l'abattre, renforcèrent sa foi et nourrirent son inspiration poétique. Il se remaria par la suite et eut d'autres enfants.

Au cours de sa vie, Rabbi Israël Najara voyagea dans l'Empire ottoman, visitant notamment Salonique, Istanbul et Bursa. Ces voyages lui permirent d'entrer en contact avec diverses traditions musicales et poétiques qui influencèrent son œuvre. Sa maîtrise de plusieurs langues - hébreu, araméen, arabe, turc, grec et espagnol - lui permit de mieux connaître ces différentes cultures.

Dans ses dernières années, il s'établit à Gaza où il servit comme Rabbin de la communauté jusqu'à sa mort, vers 1625. Son fils, Rabbi Moché Najara, lui succéda comme Grand Rabbin de Gaza, suivi, plus tard, de son petit-fils, Rabbi Yaakov Najara.

Rabbi Israël Najara : Une œuvre poétique monumentale

L'œuvre de Rabbi Israël Najara est d'une ampleur et d'une diversité impressionnantes. On lui attribue environ 1000 poèmes, dont beaucoup sont encore chantés aujourd'hui dans les communautés juives du monde entier, à la synagogue et autour de la table du chabbat. Il écrivit des piyouṭim, des pizmonim, des seli’hot, des vidouyim et des chants funèbres, pour tous les jours de la semaine, du Chabbat et des fêtes. 

Dans la plupart de ses textes, Rabbi Israël Najara chante la gloire d’Hachem et appelle à la libération et à la rédemption du peuple juif : « Ô Dieu de gloire et de grandeur ! » s’écriait-il dans le plus célèbre de ses poèmes. « Sauve ton troupeau de la gueule des lions ! Fais sortir ton peuple du milieu de l’exil ! »

Son magnum opus, "Zemirot Israël (Les Chants d'Israël), fut publié pour la première fois à Safed en 1587 et connut plusieurs éditions de son vivant, un fait exceptionnel pour l'époque. Ce recueil est divisé en trois parties principales :

- Olat Tamid : 225 piyoutim organisés selon le système ottoman des makams, démontrant la sophistication musicale de Najara.

- Olat Chabbat : 54 piyoutim pour chaque Chabbat de l'année.

- Olat Hodech : 160 piyoutim et élégies pour les Grandes Fêtes, Pourim, le 9 Av, et d'autres occasions.

La poésie de Rabbi Najara se caractérise par sa profonde spiritualité, sa maîtrise de la langue hébraïque et son extraordinaire musicalité. Il puisait son inspiration dans le Tanakh, le Talmud et la Kabbale, tout en s'inspirant des formes poétiques et musicales de son temps, notamment turques et arabes. Son approche novatrice consistait à adapter des mélodies populaires non-juives pour des textes sacrés, une pratique aujourd’hui répandue, mais révolutionnaire pour l'époque. Comme il le dit dans la préface de ses "Zemirot Israël", le but était de détourner la jeunesse juive des chants profanes.

La dimension allégorique est particulièrement présente dans son œuvre, surtout dans ses représentations de la relation entre Hachem et le peuple d’Israël - un concept très présent dans l’étude de la Kabbale.

Parmi ses poèmes les plus célèbres, on peut citer :

  • "Yah Ribbon Olam" (D., Maître de l'Univers) : Ce piyout en araméen est chanté dans de nombreuses communautés lors des repas de Chabbat. Il exprime l'émerveillement devant la grandeur divine et la beauté de la Création.
  • "Yodoukha Rayonay" (Mes pensées Te loueront) : Un hymne d'une grande beauté qui célèbre la splendeur divine.
  • "Ketouba le-’Hag ha-Chavouot" (Contrat de mariage pour Chavouot) : Ce poème allégorique, lu dans de nombreuses communautés séfarades à Chavouot, décrit l'alliance entre D. et Israël sous la forme d'un contrat de mariage.

Outre sa poésie, Rabbi Najara a écrit plusieurs ouvrages importants :

- "Mese’het ha-Tébel" : Un poème éthique sur la vanité du monde.

- "Cho’ḥaṭé ha-Yéladim" (Les Abatteurs d'enfants) : Un traité en vers sur les lois de l'abattage rituel, avec un double sens kabbalistique. 

- "Ma'arkhot Israël : Un commentaire sur la Torah (non publié).

- "Miḳveh Israël" : Un recueil de sermons (non publié).

- "Pits'ei Ohev" : Un commentaire sur le livre de Job (non publié).

 

Rabbi Israël Najara: influence et postérité

Comme on peut le voir à travers son œuvre, son érudition était immense ; il correspondait avec de nombreux rabbins contemporains, comme Betsalel Achkénazi, Yom-Ṭob Tsahalon, Moché Hamon ou encore Mena’hem ‘Hefetz. 

L'influence de Rabbi Israël Najara sur la poésie et la liturgie juives est conséquente. Ses piyoutim ont été intégrés dans les rituels et les ma’hzorim de nombreuses communautés, en particulier en Italie et en Israël. Son style poétique a inspiré des générations de paytanim (poètes liturgiques) après lui.

Son impact est particulièrement notable dans les traditions des bakachot (supplications chantées avant l'aube) au Maroc, en Turquie et en Syrie. À Alep, de nombreux hymnes et prières de Najara sont chantés le vendredi soir.

L'héritage de Rabbi Najara perdure jusqu'à nos jours. Des rues portent son nom dans plusieurs villes d'Israël, témoignant de son importance culturelle. Récemment encore, en novembre 2023, une anecdote poignante illustre la pertinence continue de son œuvre : le Lieutenant Colonel réserviste et Rav, Rabbi Yoël Rechel, est retourné sur le site de la synagogue de Najara à Gaza et y a chanté "Yah Ribon Olam" avant Chabbat, rappelant la présence historique juive dans cette région, même dans un contexte géopolitique complexe.

Rabbi Najara : Controverses et critiques

Malgré sa grande renommée, Rabbi Najara n'a pas échappé aux critiques. Certains Rabbins de son temps, comme Rabbi Mena’hem Lonzano, lui reprochaient son style innovant et son utilisation de mélodies profanes. Des accusations plus graves ont été formulées par Rabbi ‘Haïm Vital, mais elles étaient basées sur des "révélations mystiques" plutôt que sur des faits observés. Et surtout, on raconte que Rabbi ‘Haim Vital qui lui aussi écrivait, était jaloux du succès de Rabbi Najara…

Toutefois, la majorité des Grands Rabbins ont loué la sainteté et la beauté de ses poèmes. Le saint Ari zal lui-même avait déclaré que les chants de Najara étaient écoutés avec délice dans les cieux.

Rabbi Najara : Torah, Kabbale et poésie

Rabbi Israël Najara incarne la synthèse parfaite entre érudition rabbinique, mysticisme kabbalistique et génie poétique. Son œuvre, qui allie profondeur spirituelle, beauté littéraire et sophistication musicale, continue d'inspirer et d'élever les âmes juives à travers les siècles. 

En fusionnant des influences culturelles diverses dans le creuset de la tradition juive, il a créé une poésie qui transcende les frontières du temps et de l'espace. Que son souvenir soit une bénédiction et que ses chants continuent de résonner dans nos synagogues et nos foyers pour l'éternité.

 

 

 

 

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Paru au Journal Officiel du 01/1990
 

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